Communiqué – Force majeure dans le contexte actuel


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LA FORCE MAJEURE DANS LE CONTEXTE ACTUEL

Cher Clients,

Nous vous avions indiqué dans un précédent communiqué que face à la crise sanitaire actuelle, les cocontractants empêchés d’exécuter leurs obligations contractuelles, ou en difficulté pour les exécuter, pourront tenter de recourir à deux « outils juridiques » que sont (i) la force majeure et (ii) la théorie de l’imprévision (et les clauses dites de hardship).

Nous développerons ici que la force majeure, et un prochain communiqué évoquera les causes d’imprévision.

Le 28 février 2020, le ministre de l’Economie et des Finances, M. Bruno Le Maire, a annoncé, à l’issue d’une réunion avec les partenaires sociaux au ministère du Travail, que le coronavirus serait considéré comme « un cas de force majeure pour les entreprises ». Si le ministre insistait plus particulièrement sur les marchés publics de l’Etat, en prenant pour exemple l’inapplication des pénalités de retard, il n’en demeure pas moins que la possibilité d’invoquer la force majeure dans les contrats de droit privé est une question qui se pose avec acuité.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons faire un rappel des conditions d’application de la force majeure et des conséquences de sa mise en œuvre, à la lumière de la crise sanitaire sans précédent frappant actuellement le pays.

  1. Les critères de la force majeure en droit des contrats
  1. En présence d’une clause de force majeure

Il doit tout d’abord être rappelé que la force majeure peut parfaitement être aménagée contractuellement entre les parties. Une clause peut ainsi, par exemple, stipuler qu’une épidémie ne constitue pas un cas de force majeure permettant de s’exonérer de ses obligations.

Une analyse des contrats et des clauses de force majeure doit donc impérativement intervenir, au cas par cas, pour faire ressortir la volonté des parties, en ce qui concerne (i) les cas de force majeure,

(ii) la durée durant laquelle une partie peut suspendre l’exécution de son obligation et (iii) le cas échéant le délai au-delà duquel la partie empêchée ou son cocontractant peut résilier le contrat.

En revanche, si les clauses contractuelles laissent place à l’interprétation en cas de survenance d’une épidémie, ou bien si les contrats ne prévoient aucun aménagement spécifique de la force majeure, il faut, alors, s’en remettre aux dispositions légales, ainsi qu’à la jurisprudence.

  1. En l’absence d’une clause de force majeure

Il y a lieu d’opérer une distinction entre les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, soumis à l’empire des anciennes dispositions du Code civil, et ceux conclus à compter du 1er octobre 2016, pour lesquels la réforme du droit des obligations (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018) et le nouvel article 1218 du Code civil trouvent à s’appliquer.

    1. Pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016

Pour ces contrats, il convient de se référer aux critères de la force majeure tels que définis par la jurisprudence antérieure à la réforme : seul un évènement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure.

    1. Pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016

S’agissant des contrats entrés en vigueur à compter du 1er octobre 2016, il faut se référer au nouvel article 1218 al. 1er du Code civil:

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Ce texte pose donc trois conditions cumulatives, l’évènement de force majeure devant en effet :

  • échapper au contrôle du débiteur (extériorité)
  • ne pouvoir être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité)
  • entraîner des effets ne pouvant être évités par des mesures appropriées et empêchant l’exécution de l’obligation en cause (irrésistibilité)
  1. L’appréciation des critères de la force majeure au regard de la pandémie de Covid-19

Est-il possible de suspendre ses obligations contractuelles en invoquant la force majeure en raison de la pandémie de Covid-19, compte tenu des critères susvisés ?

  1. Un évènement échappant au contrôle du débiteur

L’épidémie de Covid-19 et son caractère pandémique ne pouvant évidemment résulter du fait des parties, cette première condition se trouve remplie.

  1. Un évènement imprévisible lors de la conclusion du contrat

S’agissant de l’imprévisibilité, il y a lieu de se placer au jour de la conclusion du contrat pour savoir si

les parties pouvaient anticiper les conséquences du Covid-19 sur leurs obligations contractuelles.

La jurisprudence apprécie très strictement ce critère, dans le but de préserver l’économie des contrats, puisqu’elle a pu affirmer, par exemple, qu’une épidémie de dengue en Martinique ne remplissait pas la condition d’imprévisibilité ; la dengue étant une maladie virale très répandue, sévissant régulièrement depuis de nombreuses années dans l’ensemble des Antilles françaises.

S’agissant de l’épidémie de Covid-19, et pour les contrats conclus avant janvier 2020, ce critère sera a priori rempli, puisque l’OMS ne s’est prononcée que tardivement, le 30 janvier 2020, pour qualifier l’épidémie d’« évènement extraordinaire », en précisant que « les conditions d’une urgence de santé publique de portée internationale » étaient réunies.

  1. Un évènement irrésistible empêchant d’exécuter l’obligation en cause

L’épidémie de Covid-19 ayant été qualifiée par l’OMS de « pandémie », depuis le 11 mars 2020, le critère d’irrésistibilité constitue désormais le point crucial d’appréciation de la force majeure dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.

Il est rappelé que l’irrésistibilité résulte d’une impossibilité d’exécution, c’est-à-dire un empêchement absolu de réaliser les prestations prévues au contrat : la jurisprudence, très stricte, affirme que le fait que l’exécution d’une obligation soit devenue plus difficile ou plus onéreuse ne constitue pas un cas de force majeure, dès lors que l’exécution n’est pas matériellement impossible.

Ainsi, la jurisprudence a souvent fait preuve de sévérité en refusant de considérer que des épidémies constituaient des évènements irrésistibles. A titre d’exemple, elle a pu écarter la force majeure, dans le cas d’épidémies de grippe H1N1 ou du virus du Chikungunya, dès lors que ces épidémies n’affectaient pas directement la possibilité d’exécuter des obligations contractuelles, l’exécution en demeurant matériellement possible. D’une façon générale, la jurisprudence rappelle régulièrement que les difficultés financières et/ou de fonctionnement d’une entreprise ne peuvent, à elles seules, constituer un évènement de force majeure.

De même, aujourd’hui, la seule existence d’une pandémie de Covid-19 ne saurait, à elle seule, être invoquée par l’une des parties au contrat comme un cas de force majeure pour se soustraire à ses obligations.

Il convient donc d’apprécier, au cas par cas, au regard de l’objet du contrat et du secteur d’activité

concerné, l’impossibilité totale ou partielle d’exécuter l’obligation en cause.

Si dans certains cas, il est évident que le critère d’irrésistibilité sera rempli (ex : évènement artistique ou sportif ne pouvant pas avoir lieu en raison d’une annulation décidée par les autorités publiques ; annulation d’un vol aérien rendant impossible la poursuite d’un contrat d’agence de voyage ; contrat de distribution d’un produit non nécessaire à la vie de la nation,…), la question est plus complexe pour des obligations contractuelles impactées plus indirectement par l’épidémie de Covid-19, notamment en raison des mesures gouvernementales récemment entrées en vigueur (ex : baux commerciaux ; crédits-baux ; licences de marque ; franchises, …)

En effet, force est de constater que la situation actuelle est totalement inédite et implique des mesures gouvernementales jamais vues auparavant (fermetures de commerces et d’établissements non essentiels à la vie de la nation, mesures strictes de confinement, interdiction de certains déplacements etc…), pouvant entraîner, de fait, une impossibilité totale d’exécuter certains contrats.

En telle hypothèse, l’on doit se demander, au cas par cas, si de telles mesures prises en raison de l’épidémie de Covid-19 constituent des évènements irrésistibles constitutifs de cas de force majeure, puisqu’en raison des spécificités de la pandémie de Covid-19, il nous semble difficile de raisonner par simple analogie avec la jurisprudence antérieure rendue dans le cas d’autres épidémies.

En référence à l’allégorie martiale du chef de l’Etat, il est intéressant de se rappeler que la Cour de cassation avait, pour les temps de guerre (1ere et 2nde guerres mondiales), indiqué que si ces circonstances exceptionnelles pouvaient rendre l’exécution de certaines obligations plus onéreuses, cela ne constituait toutefois pas un cas de force majeure, dès lors que l’exécution de l’obligation n’était pas impossible.

Il est probable que, pour protéger la stabilité des contrats, les juges du fond reprennent un tel courant jurisprudentiel, transposable à la présente situation sanitaire.

Les juges devront toutefois apprécier chacune des situations contractuelles, au cas par cas, et apprécier de manière in abstracto si le débiteur est vraiment dans l’impossibilité d’exécuter son obligation (i.e. par référence au « bon père de famille » ou plutôt en l’espèce au chef d’entreprise diligent).

Pour ce faire, les magistrats devront prendre en compte plusieurs critères, dont notamment :

  • l’absence de moyens alternatifs pour remédier à la situation ;
  • la durée de l’impossibilité d’exécution, au regard de la durée contractuelle (plus le contrat s’inscrira

dans la durée, moins la force majeure sera admise).

Dès lors, il est utile de rappeler brièvement les conséquences des évènements de force majeure sur les obligations prévues au contrat.

  1. Les conséquences de l’évènement de force majeure sur les obligations prévues au contrat

Si l’une des parties au contrat estime être empêchée d’exécuter ses obligations en raison d’un évènement constitutif de la force majeure, il est absolument essentiel qu’elle en avise le plus tôt possible son cocontractant, dans un souci de respecter les principes essentiels que sont la bonne foi et la loyauté dans l’exécution du contrat.

De nouveau, il convient d’examiner ce que prévoient les contrats impactés en matière de force majeure (obligation d’information, délai pour notifier le cocontractant, prise en charge des conséquences financières par l’une des parties, possibilité de résiliation…).

S’agissant des dispositions légales applicables, en l’absence de tout aménagement contractuel ou en cas daménagement partiel uniquement de la force majeure :

  • Pour les contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016, l’ancien article 1148 du Code civil prévoit qu’il n’y a « lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ».
  • Pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, l’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil trouve alors application : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

Là encore, il conviendra de procéder à une analyse de l’économie des contrats en cause, dans la mesure où il faudra distinguer les conséquences pour les obligations dans les contrats à exécution instantanée de celles prévues dans les contrats à exécution successive.

* * *

Il ne fait nul doute que la situation actuelle, particulièrement délicate pour certaines entreprises, devrait conduire bon nombre de débiteurs à tenter d’évoquer la force majeure pour pallier l’inexécution de leurs obligations contractuelles.

Il ne pourra toutefois pas s’agir d’une « martingale » juridique permettant aux débiteurs de suspendre leurs obligations dans le contexte actuel.

Afin de préserver la sécurité juridique des contrats, gageons que les juges ne feront droit à la force majeure que lorsque l’exécution de l’obligation est devenue matériellement impossible et en lien direct avec la pandémie.

Par ailleurs, en cas de contentieux, il faudra, en outre, composer avec la toute récente réforme de la procédure civile (décret du 11 décembre 2019), mettant encore davantage l’accent sur la résolution amiable des différends, via l’obligation de justifier avoir tenté une mesure de médiation ou de conciliation avant d’initier certaines procédures judiciaires.

Dans ces conditions, l’on ne peut qu’encourager les parties à prendre les devants en cas de difficultés liées à l’épidémie de Covid-19, en se rapprochant de leurs cocontractants.

Toute l’équipe de PH AVOCATS